Collier de mis?re, la mondialisation ? la cha?ne
4 mai 2013 | Guy Taillefer | Actualit?s ?conomiques
Photo : Agence France-Presse Munir Uz Zaman
Mallika Shakya, professeure ? la South Asian University, ? New Delhi, trouve r?voltant l?argument n?olib?ral ? r?ducteur ? qui veut faire croire que le travail en usine, m?me ? salaire m?diocre, constitue malgr? tout un instrument de progr?s et d?ascension sociale pour un grand nombre de gens dans les pays pauvres. Ci-dessus, des travailleuses s?affairent dans une usine de Dacca.
Quand le Rana Plaza s?effondre le 24 avril dernier ? Savar, en banlieue de Dacca, les travailleurs des ateliers voisins de confection se pr?cipitent pour aider les victimes - et pour faire exploser, une fois de plus, leur l?gitime col?re? Mots de l?historien et journaliste de gauche Vijay Prashad (auteur de Poorer Nations : A Possible History of the Global South) qui ?crit dans son blogue : ? Ils ?prouvaient ? parts ?gales de la compassion pour leurs camarades et de la rage contre un syst?me sans visage qui broie leur vie. ? Ne pouvant s?organiser l?galement, ils manifestent depuis par dizaines de milliers dans les rues, avec, bien entendu, une r?pression polici?re ? la cl?.
C?est le pire accident du genre ? se produire au Bangladesh. Mais il est loin d??tre le premier dans l?industrie du textile bangladais, employeur ? des salaires de mis?re de 3,5 millions de travailleurs (dont la majorit? sont des femmes) et ? poumon ? de l??conomie d?exportation du pays. Accident ? Quel ? accident ? ? twittait cette semaine la militante altermondialiste Naomi Klein (No Logo). C??tait d?j? arriv? ? Savar en 2005 : une usine s??tait ?croul?e, faisant 73 morts. L?automne dernier, une d?fectuosit? ?lectrique a mis le feu ? un atelier ? Tazreen, autre banlieue de la capitale. Plus de 100 morts. Entre 2009 et 2012, plus de 700 travailleurs ont perdu la vie au travail, selon le Bangladesh Institute of Labour Studies.
Milliers de gr?vistes
Est-il abusif d?utiliser les mots ? guerre civile ? pour donner une id?e de ce qui se passe au Bangladesh depuis 10 ans ? L??t? 2006 donna lieu ? un coup de gueule ouvrier comme son industrie du textile n?en avait jamais connu : des dizaines de milliers de petites gens ont fait la gr?ve dans 4000 ateliers pour protester contre les bas salaires et les conditions de travail. Les gr?ves ont vir? ? l??meute. 2009, 2010, 2011, 2012? Pas une ann?e qui n?ait vu ?clater des mouvements de d?brayage spontan?s majeurs - mais tr?s peu relay?s par la presse occidentale, comme le bilan des morts n?en valait pas la peine?
Si le syndicalisme et l?activisme de gauche ont des racines dans l?histoire du pays, la vague de privatisations lanc?e en 1975 vient les d?faire, lentement mais s?rement. C?est l??poque de la mise en place, ? partir de 1974, de l?Arrangement multifibres (AMF), imposant des quotas sur les exportations de v?tements des pays pauvres vers les pays riches. Au d?but des ann?es 1970, l?industrie du textile ?tait virtuellement inexistante au Bangladesh, l?un des pays les plus d?munis de la plan?te. Mais, favoris?e par l?Union europ?enne et les ?tats-Unis, au d?triment de la Chine pour d??videntes raisons strat?giques, l?industrie bangladaise de la sous-traitance grossit de fa?on exponentielle.
/.../
Le syst?me
L?? accident ? du Rana Plaza a relanc? au Nord les sempiternels appels au boycottage des marques. Cela pourrait ?tre utile mais, m?me si ces appels ?taient vraiment entendus, cela ne suffirait pas, juge M. Prashad. ? Ce qu?il faut, c?est appuyer fermement les travailleurs qui tentent de s?organiser au point de production. ? Il en a contre la complaisance des opinions publiques occidentales ? l??gard de leurs gouvernements pour la fa?on dont ils ? chouchoutent ? les multinationales. Ce qu?il faut donc surtout, pour que des Rana Plaza cessent de s?effondrer, ? c?est une opposition nette, non pas ? tel ou tel d?taillant, mais au syst?me qui cr?e des ?conomies ? salaires microscopiques dans le Sud pour alimenter une ?conomie de consommation ? cr?dit au Nord. ?
Mallika Shakya, professeure ? la South Asian University, ? New Delhi, trouve r?voltant l?argument n?olib?ral ? r?ducteur ? qui veut faire croire que le travail en usine, m?me ? salaire m?diocre, constitue malgr? tout un instrument de progr?s et d?ascension sociale pour un grand nombre de gens dans les pays pauvres. Cette conception des choses, d?nonce-t-elle, ? se trouve ? r?duire les travailleurs ? une masse anonyme que l?on peut commod?ment faire passer en troupeau ? travers une liste d?indicateurs ?. Beaucoup de consommateurs occidentaux qui se disent ? ?thiques ?, estime-t-elle, tombent dans le panneau de cette droite d?shumanisante.
Aussi, dit-elle, ? le fait de faire d?un producteur unique ou d?une poign?e de ses acheteurs les coupables de cette trag?die sans pr?c?dent, sans tenir compte des dynamiques et des int?r?ts plus grands qui sont en jeu, c?est comme donner la fess?e ? un raciste tout en fermant les yeux sur le r?gime d?apartheid ?.
/.../
4 mai 2013 | Guy Taillefer | Actualit?s ?conomiques
Photo : Agence France-Presse Munir Uz Zaman
Mallika Shakya, professeure ? la South Asian University, ? New Delhi, trouve r?voltant l?argument n?olib?ral ? r?ducteur ? qui veut faire croire que le travail en usine, m?me ? salaire m?diocre, constitue malgr? tout un instrument de progr?s et d?ascension sociale pour un grand nombre de gens dans les pays pauvres. Ci-dessus, des travailleuses s?affairent dans une usine de Dacca.
Quand le Rana Plaza s?effondre le 24 avril dernier ? Savar, en banlieue de Dacca, les travailleurs des ateliers voisins de confection se pr?cipitent pour aider les victimes - et pour faire exploser, une fois de plus, leur l?gitime col?re? Mots de l?historien et journaliste de gauche Vijay Prashad (auteur de Poorer Nations : A Possible History of the Global South) qui ?crit dans son blogue : ? Ils ?prouvaient ? parts ?gales de la compassion pour leurs camarades et de la rage contre un syst?me sans visage qui broie leur vie. ? Ne pouvant s?organiser l?galement, ils manifestent depuis par dizaines de milliers dans les rues, avec, bien entendu, une r?pression polici?re ? la cl?.
C?est le pire accident du genre ? se produire au Bangladesh. Mais il est loin d??tre le premier dans l?industrie du textile bangladais, employeur ? des salaires de mis?re de 3,5 millions de travailleurs (dont la majorit? sont des femmes) et ? poumon ? de l??conomie d?exportation du pays. Accident ? Quel ? accident ? ? twittait cette semaine la militante altermondialiste Naomi Klein (No Logo). C??tait d?j? arriv? ? Savar en 2005 : une usine s??tait ?croul?e, faisant 73 morts. L?automne dernier, une d?fectuosit? ?lectrique a mis le feu ? un atelier ? Tazreen, autre banlieue de la capitale. Plus de 100 morts. Entre 2009 et 2012, plus de 700 travailleurs ont perdu la vie au travail, selon le Bangladesh Institute of Labour Studies.
Milliers de gr?vistes
Est-il abusif d?utiliser les mots ? guerre civile ? pour donner une id?e de ce qui se passe au Bangladesh depuis 10 ans ? L??t? 2006 donna lieu ? un coup de gueule ouvrier comme son industrie du textile n?en avait jamais connu : des dizaines de milliers de petites gens ont fait la gr?ve dans 4000 ateliers pour protester contre les bas salaires et les conditions de travail. Les gr?ves ont vir? ? l??meute. 2009, 2010, 2011, 2012? Pas une ann?e qui n?ait vu ?clater des mouvements de d?brayage spontan?s majeurs - mais tr?s peu relay?s par la presse occidentale, comme le bilan des morts n?en valait pas la peine?
Si le syndicalisme et l?activisme de gauche ont des racines dans l?histoire du pays, la vague de privatisations lanc?e en 1975 vient les d?faire, lentement mais s?rement. C?est l??poque de la mise en place, ? partir de 1974, de l?Arrangement multifibres (AMF), imposant des quotas sur les exportations de v?tements des pays pauvres vers les pays riches. Au d?but des ann?es 1970, l?industrie du textile ?tait virtuellement inexistante au Bangladesh, l?un des pays les plus d?munis de la plan?te. Mais, favoris?e par l?Union europ?enne et les ?tats-Unis, au d?triment de la Chine pour d??videntes raisons strat?giques, l?industrie bangladaise de la sous-traitance grossit de fa?on exponentielle.
/.../
Le syst?me
L?? accident ? du Rana Plaza a relanc? au Nord les sempiternels appels au boycottage des marques. Cela pourrait ?tre utile mais, m?me si ces appels ?taient vraiment entendus, cela ne suffirait pas, juge M. Prashad. ? Ce qu?il faut, c?est appuyer fermement les travailleurs qui tentent de s?organiser au point de production. ? Il en a contre la complaisance des opinions publiques occidentales ? l??gard de leurs gouvernements pour la fa?on dont ils ? chouchoutent ? les multinationales. Ce qu?il faut donc surtout, pour que des Rana Plaza cessent de s?effondrer, ? c?est une opposition nette, non pas ? tel ou tel d?taillant, mais au syst?me qui cr?e des ?conomies ? salaires microscopiques dans le Sud pour alimenter une ?conomie de consommation ? cr?dit au Nord. ?
Mallika Shakya, professeure ? la South Asian University, ? New Delhi, trouve r?voltant l?argument n?olib?ral ? r?ducteur ? qui veut faire croire que le travail en usine, m?me ? salaire m?diocre, constitue malgr? tout un instrument de progr?s et d?ascension sociale pour un grand nombre de gens dans les pays pauvres. Cette conception des choses, d?nonce-t-elle, ? se trouve ? r?duire les travailleurs ? une masse anonyme que l?on peut commod?ment faire passer en troupeau ? travers une liste d?indicateurs ?. Beaucoup de consommateurs occidentaux qui se disent ? ?thiques ?, estime-t-elle, tombent dans le panneau de cette droite d?shumanisante.
Aussi, dit-elle, ? le fait de faire d?un producteur unique ou d?une poign?e de ses acheteurs les coupables de cette trag?die sans pr?c?dent, sans tenir compte des dynamiques et des int?r?ts plus grands qui sont en jeu, c?est comme donner la fess?e ? un raciste tout en fermant les yeux sur le r?gime d?apartheid ?.
/.../
Comment