Pand?mie grippale : ?tablir d?sormais les conditions d'une transparence plus intelligible

Par Marc Guerrier et Emmanuel Hirsch, Espace ?thique / AP-HP - 12 janvier 2010

Les controverses actuelles relatives ? la quantit? de vaccins dont le gouvernement a pass? commande initialement, risquent de nous d?tourner d?enjeux sup?rieurs et de menaces ?videntes. En effet, la vraie question aujourd?hui est de savoir ce qu?il convient r?ellement de discuter en termes de choix politiques, afin d?en tirer les savoirs utiles qui nous permettront d??tre encore mieux pr?par? ? l??ventualit? d?une pand?mie de plus forte s?v?rit?. Pour ?tre pertinente, une r?flexion sur la quantit? de vaccins command?s n?cessite la compr?hension d?une part des facteurs qui d?terminent ce type de d?cision, d?autre part ? et surtout ? des principes ?thiques de sant? publique qui devraient l?encadrer.


L?expertise sur les probl?mes de la grippe A/H1N1 est un discours d?incertitude


D?cider dans l?incertitude constitue un exercice p?rilleux : il a fallu tenir compte des donn?es ?volutives, guid? par l?exigence d?une recherche de la ? pr?caution de juste niveau ?. Dans les conditions initiales de la d?cision de commande de vaccins, en ?t? 2009, la question ?tait : ? quel pourcentage de la population estimons-nous souhaitable de vacciner contre cette nouvelle grippe A ? ? Or en juillet 2009, l?impact futur de la pand?mie n??tait pas connu. Nous n??tions pas dans la position de qualifier la pand?mie d?butante de grave ou de b?nigne, ce qui ne peut l??tre qu?a posteriori.
S?il est possible de critiquer le gouvernement sur le plan des modalit?s des d?cisions, on ne peut lui reprocher une m?connaissance de l?expertise disponible. L?expertise (internationale et nationale) a expliqu? les incertitudes, expos? les rep?res qu?elle pouvait, mais elle n?a jamais permis d?affirmer qu?il serait dans l?absolu irrationnel ou disproportionn? d?entreprendre la vaccination des populations.
La discussion possible se situe ? un niveau qui n?est pas celui de des donn?es scientifiques brutes (elles sont objectives, y compris dans le degr? d?impr?cision qu?elles comportent ? un moment donn?). Il convient de s?parer le plan du discours brut de l?expertise scientifique ? celui du chiffre, des statistiques et de l??tude des niveaux de preuve -, des plans successifs de ses interpr?tations possibles, jusqu?? celui de la d?cision, ?tape ? d?int?gration orient?e ?, dont les donn?es techniques de base ne constituent qu?un ?l?ment.


Transparence et rationalit? pour l?engagement social


Le cheminement qui conduit finalement ? mettre en ?uvre un choix qui vaut pour la collectivit?, ne se r?sume pas ? l?application d?un donn? scientifique suppos? certain. Il faut dire de quelle rationalit? l?on parle : les niveaux en sont multiples, et tous les d?terminants ne sont pas scientifiques, l??pid?miologie n??tant pas capable de pr?diction en temps r?el. Parler de ?principe de rationalit??, tout comme ?d?objectif de sant? publique?, loin de constituer une justification en soi, en appelle avant tout ? une explication de texte.
Dire que les d?cisions se sont prises dans la transparence ne nous semble pas exact, non pas au motif d?une quantit? insuffisante d?informations, ni non plus au motif que des donn?es auraient ?t? cach?es au public (postulons que, globalement, il n?y a pas eu de manipulation volontaire ? cet ?gard). Deux principales critiques sur la transparence peuvent ?tre formul?es.
Premi?rement : la transparence a manqu? sur le cheminement rationnel partant des donn?es scientifiques et aboutissant aux d?cisions. En effet, ces derni?res ont toujours ?t? pr?sent?es dans leur forme finalis?e, ex?cutoire, comme si elles proc?daient d?une sorte de v?rit? positive. Finalement, lorsqu?une d?cision modifie la pr?c?dente, on peut avoir l?impression d?une attitude contradictoire, faute de conna?tre assez bien ce sur quoi reposent les choix (utilisation des antiviraux, politique de vaccination, utilisation des masques, etc.). Il manque une visibilit? sur les processus de d?cision et le contenu riche des d?lib?rations qui y conduisent.
Deuxi?mement, les (abondantes) informations transmises sur l??pid?mie en g?n?ral n?ont jamais ?t? accompagn?es des clefs utiles pour les comprendre. En sorte que, encore aujourd?hui, des messages strictement contradictoires les uns aux autres circulent sur la grippe avec un degr? de cr?dibilit? ?gal. C?est dire que beaucoup d?entre nous manquent des rep?res ?l?mentaires permettant de comprendre la complexit? inh?rente ? la situation, et l?impossibilit? d?un discours de certitude. La notion m?me de ? transparence ? doit ?tre envisag?e dans sa complexit?, et ne peut se r?duire ? un fonctionnement r?actif des m?dias face ? des donn?es de connaissances m?dicale et scientifique. Elle ne peut non plus ?tre r?duite au nombre de conf?rences de presse organis?es par les instances officielles. Toutes les pistes sont brouill?es plus avant par une faible lisibilit? des l?gitimit?s. Enfin, les instances d?expertises m?dicale et scientifique qui conseillent le gouvernement se trouvent dans une situation o? elles ne prennent pas la parole, tout se passant comme si elles se trouvaient dans une forme de devoir de r?serve? Or, les donn?es m?dicales et scientifiques n?ont pas ?tre approuv?es politiquement.
Dans ces conditions, l?engagement de la soci?t? est impossible ? la base. Notre incapacit? ? appr?hender collectivement, en soci?t?, la complexit? dans l??pisode de grippe A en g?n?ral, rend probl?matique une r?elle participation des populations aux d?cisions qui les concernent ? quelle que soit la forme de cette participation, et quelles que soient les d?cisions. Ce que nous retenons surtout de la teneur des disputations actuelles, c?est l?id?e selon laquelle les Fran?ais n?ont pas le sentiment que les d?cisions de sant? publique concernant la grippe rel?vent d?un engagement collectif, de choix auxquels ils ont pu prendre part pour se les approprier.
Il nous faut aujourd?hui comprendre comment ?tablir une transparence plus intelligible, comment donner ? chacun les moyens de comprendre la complexit?, les enjeux ?pid?miologiques, sociaux et ?thiques li?s ? l??mergence possible de maladies pand?miques. L?investissement et la confiance de la soci?t? n?existeront qu?? cette condition.


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