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La mort cach?e des b?b?s
Enfants maltrait?s, secou?s ou tu?s d?s leur naissance: chez les moins d? un an, nombre de violences et d?homicides ne sont pas d?tect?s.
<small> C?CILE DAUMAS
</small>
Ces derniers mois, H?l?ne Romano, psychologue au Samu du Val-de-Marne, a ?t? confront?e ? trois morts violentes de tr?s jeunes enfants. ?Le premier, un nourrisson de 2 mois, est d?c?d? de malaises cons?cutifs ? des secouements. C?est ce qu?on appelle le syndrome du b?b? secou?. Le deuxi?me a ?t? tu? ? la naissance. C?est un n?onaticide, dont les m?res sont g?n?ralement auteures. Le troisi?me, un gar?on de 14 mois, a ?t? jet? par la fen?tre par sa maman alors que la s?ur de 14 ans tentait de l?emp?cher de commettre un tel geste.? Officiellement, un petit nombre de b?b?s sont victimes chaque ann?e en France de mort violente : dix ? vingt cas d?homicides d?enfants de moins d?un an (1). Mais ce chiffre est totalement sous-estim?, affirme le D<sup>r</sup> Anne Tursz, directrice de recherche ? l?Institut national de la sant? et de la recherche m?dicale (Inserm). Depuis plus de dix ans, cette p?diatre quinquag?naire ?pluche les donn?es sur la maltraitance et la mortalit? infantiles fournies en vrac par les h?pitaux, la justice, la police ou la gendarmerie. Avec sa coll?gue Pascale Gerbouin-R?rolle, elle vient de publier un ouvrage minutieusement document?, Enfants maltrait?s (2), qui fait le bilan des connaissances statistiques et ?pid?miologiques sur le sujet. Son constat ? ?Atterrant, dit cette scientifique pourtant rompue ? la mesure statistique. La sous-estimation des homicides de nourrissons de moins d?un an est telle qu?on peut proposer une correction en multipliant le chiffre officiel par 3 ? 10.? Ce ne serait plus 10 ou 20 mais au moins 30 et jusqu?? 200 b?b?s qui seraient tu?s chaque ann?e.
?Les affres de l?inconscient?
En France, pays o? l?on est fier de procr?er (pratiquement deux enfants par femme, un record europ?en), on pr?f?re ne pas ?voquer ces morts masqu?es, esquiv?es. Paradoxalement, de tous les ?ges de la vie, c?est avant un an que le petit de l?homme risque le plus d??tre victime d?un homicide. Les b?b?s secou?s sont tr?s jeunes : moins de 4 mois en moyenne. Et les n?onaticides concernent par d?finition les nouveau-n?s. Les auteurs de ces meurtres d?enfants ? Les parents le plus souvent. Avec l?affaire Courjault, la France d?couvre, ? l??t? 2006 qu?une m?re, bien sous tous rapports, peut ?liminer son enfant ? la naissance. Et m?me le conserver dans la glace. C?est en Cor?e, o? travaille son mari, que deux petits corps sont trouv?s dans le cong?lateur de cette femme d?crite comme une m?re affectueuse. Au bout de quelques mois, V?ronique Courjault avoue avoir ?trangl? trois nouveau-n?s en 1999, 2002 et 2003. Elle est mise en examen pour assassinats et attend d??tre jug?e. Son mari, fils de bonne famille, assure n??tre au courant de rien. Le 23 janvier, la justice dira s?il peut ou non b?n?ficier d?un non-lieu.
?Cette affaire nous renvoie ? quelque chose qu?on ne supporte pas, analyse Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste, auteure de la Vie ordinaire d?une m?re meurtri?re, livre inspir? de ce fait divers [3]. Notre soci?t? est en plein progr?s et en pleine ma?trise : on a su faire reculer la mort, on r?cup?re de grands pr?matur?s. On a l?impression d??tre tout puissants et cette femme nous d?montre le contraire en nous plongeant dans les affres de l?inconscient. On pense que les auteurs d?infanticides sont des jeunes filles un peu paum?es qui ne savent pas prendre la pilule. En s?accrochant ? cette repr?sentation, on se d?fend de l?id?e que nous aussi, nous pourrions un jour ?tre projet?s dans ce type de drame.? En r?alit?, les n?onaticides se commettent dans tous les milieux sociaux et le plus souvent, ne d?fraient pas la chronique.
Au fil de ses recherches, Anne Tursz a lev? un autre li?vre. ?La tr?s grande majorit? des nourrissons d?c?dent de maladies clairement identifi?es [anomalies cong?nitales ou maladies infectieuses]. Mais 20 % meurent dans des circonstances complexes ? analyser. Dans ces 20 %, un quart ? un tiers peuvent ?tre consid?r?s comme des homicides.? Ainsi a-t-elle mis au jour un ph?nom?ne troublant. On enregistre chez les b?b?s de moins d?un an un taux tr?s ?lev? de d?c?s dits accidentels, alors qu?ils ne marchent pas encore et encourent normalement peu de risques. Ce taux est pratiquement le double dans la cat?gorie des 1 ? 4 ans, qui, en revanche, est la plus expos?e aux dangers. ?Dans ces situations, souligne H?l?ne Romano, psychologue du Samu qui a travaill? avec Anne Tursz, le b?b? d?c?de d?un passage ? l?acte o? l?intention de tuer n?est pas manifest?e consciemment. Les parents parlent d?"accident", sans toujours r?aliser qu?ils puissent avoir une quelconque responsabilit? dans le drame.? Ainsi, un nourrisson est laiss? endormi dans un couffin pos? au sol d?une cuisine avec un berger allemand ? proximit?. Un autre, dans un bel appartement de 150m<sup>2</sup>, est plac? sur la table vitroc?ramique encore allum?e. ?Nous incluons ?galement dans cette cat?gorie, poursuit la psychologue du Samu, les b?b?s secou?s qui d?c?dent sans qu?il y ait d?autres traces de maltraitance.?
Les mots sont souvent identiques. ?Il faisait expr?s de pleurer?, disent les parents. Comme dans une inversion des r?les, ils se sentent victimes de leur prog?niture. H?l?ne Romano relate par exemple le d?c?s, suite ? une h?morragie m?ning?e, d?Adrien, ?g? de 3 mois (4). Son p?re, un ing?nieur de 25 ans, est mis en cause. ?Je ne supportais pas ses cris, dit-il. Je voulais qu?il se taise, j??tais d?sempar? devant ses pleurs [?], j??tais d?bord?, je ne me suis pas rendu compte de ce que je faisais, j?avais le sentiment de ne pas ?tre moi-m?me.? Des ?tudes am?ricaines d?montrent que le pic de la courbe des b?b?s secou?s suit tr?s exactement celui des pleurs. Et selon une enqu?te d?Anne Tursz men?e dans trois r?gions (5), les p?res seraient davantage impliqu?s que les m?res dans ces d?c?s.
Plus que des probl?mes ?conomiques ou de pathologies mentales (ce type de profil est rare chez les meurtriers), c?est la carence affective et la difficult? d??tre parent qui peuvent conduire ? des maltraitances, souvent impensables, sur de tr?s jeunes b?b?s. ?Un d?faut d?attachement ? la naissance entre les parents et le jeune enfant?, explique Anne Tursz. La chercheuse met en avant deux situations m?dicales particuli?rement dangereuses : la grande pr?maturit?, source d?hospitalisation n?onatale prolong?e, et la d?pression du post-partum de la m?re.
Parents en d?tresse
Si chaque histoire de maltraitance est singuli?re, la psychanalyste Sophie Marinopoulos recoupe des faisceaux d?indices. Comment un parent peut-il supprimer ce qu?il est cens? avoir ardemment d?sir? ? Le premier enfant arrive de plus en plus tard chez des couples qui veulent stabilit? conjugale et s?curit? financi?re, et souhaitent profiter de la vie. ?Ils vivent longtemps avec un b?b? imaginaire dans la t?te, remarque la psychanalyste, ils ont le temps de le r?ver. Mais quand ce b?b? devient r?el, ils ne savent pas comment faire et sont pris de panique. D?munis et dans une grande souffrance, ils peuvent alors d?marrer des gestes inappropri?s : ils secouent des enfants dont ils se sentent pers?cut?s. Cet enfant attendu comme un prolongement de soi, une image de la perfection, ne correspond plus ? leur attente.?
Pour le corps m?dical, les morts soudaines de tr?s jeunes sujets sont des situations d?licates ? g?rer. ?D?j? ?prouv?s par la mort de leur b?b?, les parents sont ?pouvantablement choqu?s qu?on puisse les soup?onner?, explique le P<sup>r</sup> Michel Roussey du CHU de Rennes. Lors d?un colloque en novembre ? l?universit? Rennes-II (6), ce p?diatre tr?s engag? dans la lutte contre les maltraitances ?voquait les cas probl?matiques de morts subites du nourrisson. Gr?ce aux nouvelles recommandations de couchage (sur le dos et non plus sur le ventre), ces d?c?s que la m?decine peine toujours ? expliquer ont diminu? de 75 % depuis quinze ans. ?Bien ?videmment, nous croyons la grande majorit? des parents car 90 % des morts subites de nourrisson sont bien r?elles, dit le P<sup>r</sup> Roussey. Malheureusement, quand l?enfant a ?t? mis en danger, nous ne devons pas les croire. Environ 10 % des morts subites du nourrisson sont en fait des homicides masqu?s.?
Bleus, fractures et br?lures
Parfois, la maltraitance est visible et le signalement ? la justice rapide : des bleus ou des br?lures de cigarette, une radio qui r?v?le de fractures anciennes, un scanner qui d?tecte des h?matomes entre les m?ninges et le cerveau, indice que le b?b? a ?t? secou?. ?Nous h?sitons beaucoup plus, explique Elisabeth Briand-Huchet, p?diatre ? l?h?pital Antoine-B?cl?re ? Clamart, quand l?histoire racont?e par les parents ne colle pas tout ? fait avec les l?sions trouv?es chez l?enfant. Nous sommes face ? des familles d?j? angoiss?es. La suite de l?affaire d?pendra donc du profil et de l?exp?rience du m?decin.? Certains pr?f?rent ?pargner aux familles l??preuve suppl?mentaire de la confrontation avec la justice. D?autres ne songent m?me pas aux s?vices. ?Les services sociaux se sont focalis?s sur les familles pr?caires, dit Anne Tursz, de l?Inserm, mais nos ?tudes montrent que les familles de cadres sont ?galement repr?sent?es, notamment dans les cas de b?b?s secou?s. Une des difficult?s pour les m?decins est d?imaginer que leurs pairs, avocats ou ing?nieurs, puissent ?tre auteurs de tels actes. La maltraitance en milieu ais? est totalement sous-?valu?e.?
Faute d?investigation m?dicale et de signalement ? la justice, de nombreuses morts violentes d?enfants de moins d?un an ne sont donc pas d?tect?es. Des recommandations ont ?t? ?mises en 2007 par la Haute Autorit? de la sant? : investigation approfondie des causes de la mort en milieu m?dicalis?, g?n?ralisation de l?autopsie, qui n?est pas toujours r?alis?e, meilleure prise en charge des parents. ?Mais nous manquons de moyens pour appliquer ces mesures?, d?plore Elisabeth Briand-Huchet, copr?sidente du groupe de travail de la Haute Autorit?, avec Anne Tursz. La France compte seulement deux m?decins l?gistes sp?cialis?s en p?diatrie.
(1) Selon le centre d??pid?miologie de l?Inserm qui recense les causes m?dicales de d?c?s. (2) Ed. Lavoisier, 49 euros. (3) Ed. Fayard, 14 euros. (4) Dans l??tude ?On tue un b?b?,r?flexions sur les processus psychiques conduisant ? des homicides sur mineurs de un an?, H. Romano, 2008. (5) Etude ?pid?miologique des morts suspectes de nourrissons (1996-2000) men?e en Bretagne, Ile-de-France et Nord-Pas-de-Calais, Inserm. (6) Colloque sur le meurtre d?enfant organis? par l?Institut de criminologie et de sciences humaines de Rennes-II.
http://www.liberation.fr/societe/0101311772-la-mort-cachee-des-bebes
Enfants maltrait?s, secou?s ou tu?s d?s leur naissance: chez les moins d? un an, nombre de violences et d?homicides ne sont pas d?tect?s.
<small> C?CILE DAUMAS
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Ces derniers mois, H?l?ne Romano, psychologue au Samu du Val-de-Marne, a ?t? confront?e ? trois morts violentes de tr?s jeunes enfants. ?Le premier, un nourrisson de 2 mois, est d?c?d? de malaises cons?cutifs ? des secouements. C?est ce qu?on appelle le syndrome du b?b? secou?. Le deuxi?me a ?t? tu? ? la naissance. C?est un n?onaticide, dont les m?res sont g?n?ralement auteures. Le troisi?me, un gar?on de 14 mois, a ?t? jet? par la fen?tre par sa maman alors que la s?ur de 14 ans tentait de l?emp?cher de commettre un tel geste.? Officiellement, un petit nombre de b?b?s sont victimes chaque ann?e en France de mort violente : dix ? vingt cas d?homicides d?enfants de moins d?un an (1). Mais ce chiffre est totalement sous-estim?, affirme le D<sup>r</sup> Anne Tursz, directrice de recherche ? l?Institut national de la sant? et de la recherche m?dicale (Inserm). Depuis plus de dix ans, cette p?diatre quinquag?naire ?pluche les donn?es sur la maltraitance et la mortalit? infantiles fournies en vrac par les h?pitaux, la justice, la police ou la gendarmerie. Avec sa coll?gue Pascale Gerbouin-R?rolle, elle vient de publier un ouvrage minutieusement document?, Enfants maltrait?s (2), qui fait le bilan des connaissances statistiques et ?pid?miologiques sur le sujet. Son constat ? ?Atterrant, dit cette scientifique pourtant rompue ? la mesure statistique. La sous-estimation des homicides de nourrissons de moins d?un an est telle qu?on peut proposer une correction en multipliant le chiffre officiel par 3 ? 10.? Ce ne serait plus 10 ou 20 mais au moins 30 et jusqu?? 200 b?b?s qui seraient tu?s chaque ann?e.
?Les affres de l?inconscient?
En France, pays o? l?on est fier de procr?er (pratiquement deux enfants par femme, un record europ?en), on pr?f?re ne pas ?voquer ces morts masqu?es, esquiv?es. Paradoxalement, de tous les ?ges de la vie, c?est avant un an que le petit de l?homme risque le plus d??tre victime d?un homicide. Les b?b?s secou?s sont tr?s jeunes : moins de 4 mois en moyenne. Et les n?onaticides concernent par d?finition les nouveau-n?s. Les auteurs de ces meurtres d?enfants ? Les parents le plus souvent. Avec l?affaire Courjault, la France d?couvre, ? l??t? 2006 qu?une m?re, bien sous tous rapports, peut ?liminer son enfant ? la naissance. Et m?me le conserver dans la glace. C?est en Cor?e, o? travaille son mari, que deux petits corps sont trouv?s dans le cong?lateur de cette femme d?crite comme une m?re affectueuse. Au bout de quelques mois, V?ronique Courjault avoue avoir ?trangl? trois nouveau-n?s en 1999, 2002 et 2003. Elle est mise en examen pour assassinats et attend d??tre jug?e. Son mari, fils de bonne famille, assure n??tre au courant de rien. Le 23 janvier, la justice dira s?il peut ou non b?n?ficier d?un non-lieu.
?Cette affaire nous renvoie ? quelque chose qu?on ne supporte pas, analyse Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste, auteure de la Vie ordinaire d?une m?re meurtri?re, livre inspir? de ce fait divers [3]. Notre soci?t? est en plein progr?s et en pleine ma?trise : on a su faire reculer la mort, on r?cup?re de grands pr?matur?s. On a l?impression d??tre tout puissants et cette femme nous d?montre le contraire en nous plongeant dans les affres de l?inconscient. On pense que les auteurs d?infanticides sont des jeunes filles un peu paum?es qui ne savent pas prendre la pilule. En s?accrochant ? cette repr?sentation, on se d?fend de l?id?e que nous aussi, nous pourrions un jour ?tre projet?s dans ce type de drame.? En r?alit?, les n?onaticides se commettent dans tous les milieux sociaux et le plus souvent, ne d?fraient pas la chronique.
Au fil de ses recherches, Anne Tursz a lev? un autre li?vre. ?La tr?s grande majorit? des nourrissons d?c?dent de maladies clairement identifi?es [anomalies cong?nitales ou maladies infectieuses]. Mais 20 % meurent dans des circonstances complexes ? analyser. Dans ces 20 %, un quart ? un tiers peuvent ?tre consid?r?s comme des homicides.? Ainsi a-t-elle mis au jour un ph?nom?ne troublant. On enregistre chez les b?b?s de moins d?un an un taux tr?s ?lev? de d?c?s dits accidentels, alors qu?ils ne marchent pas encore et encourent normalement peu de risques. Ce taux est pratiquement le double dans la cat?gorie des 1 ? 4 ans, qui, en revanche, est la plus expos?e aux dangers. ?Dans ces situations, souligne H?l?ne Romano, psychologue du Samu qui a travaill? avec Anne Tursz, le b?b? d?c?de d?un passage ? l?acte o? l?intention de tuer n?est pas manifest?e consciemment. Les parents parlent d?"accident", sans toujours r?aliser qu?ils puissent avoir une quelconque responsabilit? dans le drame.? Ainsi, un nourrisson est laiss? endormi dans un couffin pos? au sol d?une cuisine avec un berger allemand ? proximit?. Un autre, dans un bel appartement de 150m<sup>2</sup>, est plac? sur la table vitroc?ramique encore allum?e. ?Nous incluons ?galement dans cette cat?gorie, poursuit la psychologue du Samu, les b?b?s secou?s qui d?c?dent sans qu?il y ait d?autres traces de maltraitance.?
Les mots sont souvent identiques. ?Il faisait expr?s de pleurer?, disent les parents. Comme dans une inversion des r?les, ils se sentent victimes de leur prog?niture. H?l?ne Romano relate par exemple le d?c?s, suite ? une h?morragie m?ning?e, d?Adrien, ?g? de 3 mois (4). Son p?re, un ing?nieur de 25 ans, est mis en cause. ?Je ne supportais pas ses cris, dit-il. Je voulais qu?il se taise, j??tais d?sempar? devant ses pleurs [?], j??tais d?bord?, je ne me suis pas rendu compte de ce que je faisais, j?avais le sentiment de ne pas ?tre moi-m?me.? Des ?tudes am?ricaines d?montrent que le pic de la courbe des b?b?s secou?s suit tr?s exactement celui des pleurs. Et selon une enqu?te d?Anne Tursz men?e dans trois r?gions (5), les p?res seraient davantage impliqu?s que les m?res dans ces d?c?s.
Plus que des probl?mes ?conomiques ou de pathologies mentales (ce type de profil est rare chez les meurtriers), c?est la carence affective et la difficult? d??tre parent qui peuvent conduire ? des maltraitances, souvent impensables, sur de tr?s jeunes b?b?s. ?Un d?faut d?attachement ? la naissance entre les parents et le jeune enfant?, explique Anne Tursz. La chercheuse met en avant deux situations m?dicales particuli?rement dangereuses : la grande pr?maturit?, source d?hospitalisation n?onatale prolong?e, et la d?pression du post-partum de la m?re.
Parents en d?tresse
Si chaque histoire de maltraitance est singuli?re, la psychanalyste Sophie Marinopoulos recoupe des faisceaux d?indices. Comment un parent peut-il supprimer ce qu?il est cens? avoir ardemment d?sir? ? Le premier enfant arrive de plus en plus tard chez des couples qui veulent stabilit? conjugale et s?curit? financi?re, et souhaitent profiter de la vie. ?Ils vivent longtemps avec un b?b? imaginaire dans la t?te, remarque la psychanalyste, ils ont le temps de le r?ver. Mais quand ce b?b? devient r?el, ils ne savent pas comment faire et sont pris de panique. D?munis et dans une grande souffrance, ils peuvent alors d?marrer des gestes inappropri?s : ils secouent des enfants dont ils se sentent pers?cut?s. Cet enfant attendu comme un prolongement de soi, une image de la perfection, ne correspond plus ? leur attente.?
Pour le corps m?dical, les morts soudaines de tr?s jeunes sujets sont des situations d?licates ? g?rer. ?D?j? ?prouv?s par la mort de leur b?b?, les parents sont ?pouvantablement choqu?s qu?on puisse les soup?onner?, explique le P<sup>r</sup> Michel Roussey du CHU de Rennes. Lors d?un colloque en novembre ? l?universit? Rennes-II (6), ce p?diatre tr?s engag? dans la lutte contre les maltraitances ?voquait les cas probl?matiques de morts subites du nourrisson. Gr?ce aux nouvelles recommandations de couchage (sur le dos et non plus sur le ventre), ces d?c?s que la m?decine peine toujours ? expliquer ont diminu? de 75 % depuis quinze ans. ?Bien ?videmment, nous croyons la grande majorit? des parents car 90 % des morts subites de nourrisson sont bien r?elles, dit le P<sup>r</sup> Roussey. Malheureusement, quand l?enfant a ?t? mis en danger, nous ne devons pas les croire. Environ 10 % des morts subites du nourrisson sont en fait des homicides masqu?s.?
Bleus, fractures et br?lures
Parfois, la maltraitance est visible et le signalement ? la justice rapide : des bleus ou des br?lures de cigarette, une radio qui r?v?le de fractures anciennes, un scanner qui d?tecte des h?matomes entre les m?ninges et le cerveau, indice que le b?b? a ?t? secou?. ?Nous h?sitons beaucoup plus, explique Elisabeth Briand-Huchet, p?diatre ? l?h?pital Antoine-B?cl?re ? Clamart, quand l?histoire racont?e par les parents ne colle pas tout ? fait avec les l?sions trouv?es chez l?enfant. Nous sommes face ? des familles d?j? angoiss?es. La suite de l?affaire d?pendra donc du profil et de l?exp?rience du m?decin.? Certains pr?f?rent ?pargner aux familles l??preuve suppl?mentaire de la confrontation avec la justice. D?autres ne songent m?me pas aux s?vices. ?Les services sociaux se sont focalis?s sur les familles pr?caires, dit Anne Tursz, de l?Inserm, mais nos ?tudes montrent que les familles de cadres sont ?galement repr?sent?es, notamment dans les cas de b?b?s secou?s. Une des difficult?s pour les m?decins est d?imaginer que leurs pairs, avocats ou ing?nieurs, puissent ?tre auteurs de tels actes. La maltraitance en milieu ais? est totalement sous-?valu?e.?
Faute d?investigation m?dicale et de signalement ? la justice, de nombreuses morts violentes d?enfants de moins d?un an ne sont donc pas d?tect?es. Des recommandations ont ?t? ?mises en 2007 par la Haute Autorit? de la sant? : investigation approfondie des causes de la mort en milieu m?dicalis?, g?n?ralisation de l?autopsie, qui n?est pas toujours r?alis?e, meilleure prise en charge des parents. ?Mais nous manquons de moyens pour appliquer ces mesures?, d?plore Elisabeth Briand-Huchet, copr?sidente du groupe de travail de la Haute Autorit?, avec Anne Tursz. La France compte seulement deux m?decins l?gistes sp?cialis?s en p?diatrie.
(1) Selon le centre d??pid?miologie de l?Inserm qui recense les causes m?dicales de d?c?s. (2) Ed. Lavoisier, 49 euros. (3) Ed. Fayard, 14 euros. (4) Dans l??tude ?On tue un b?b?,r?flexions sur les processus psychiques conduisant ? des homicides sur mineurs de un an?, H. Romano, 2008. (5) Etude ?pid?miologique des morts suspectes de nourrissons (1996-2000) men?e en Bretagne, Ile-de-France et Nord-Pas-de-Calais, Inserm. (6) Colloque sur le meurtre d?enfant organis? par l?Institut de criminologie et de sciences humaines de Rennes-II.
http://www.liberation.fr/societe/0101311772-la-mort-cachee-des-bebes
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