Tweet
Egyptoblogue
Carnet de bord de Claude Guibal, correspondante de ?Lib?ration? au Caire.
10/04/2009
Dis poulet, pourquoi tu tousses ?
Il s?appelle Ali. Il a six ans. Il est ? l?h?pital du Caire, sous respiration artificielle. Son ?tat est jug? critique. Ali est le 63e cas humain av?r? ayant contract? le virus de la grippe aviaire en Egypte. La semaine derni?re, c??tait deux autres petits bonhommes, ?g?s de deux ans, qui ont grossi la liste des malades.
23 personnes sont officiellement mortes dans le pays depuis le d?but de l??pid?mie, en mars 2006. Il y en a probablement d?autres, mais comment savoir, avouent eux-m?mes certains fonctionnaires du minist?re de la Sant?.
Ali, Hassan, Mohamed? Six ans, deux ans, trois ans... Sur la sinistre liste des cas de H5N1, ? quelques exceptions pr?s, ce sont tous des enfants ou des femmes. Ceux-l? m?mes, qui, dans les zones rurales et dans les quartiers pauvres, sont le plus au contact des volatiles. Car le probl?me, ce sont les ?levages domestiques, dans les cours et sur les toits des maisons, o? on retrouve essentiellement aujourd?hui le virus.
L?Egypte est le pays le plus contamin? au monde en dehors de l'Asie. Et sa proximit? avec l?Europe inqui?te la communaut? internationale, qui craint que ce ne soit sur la terre des pharaons qu?une mutation du virus ait lieu. Je suis pas sp?cialement cal?e en immuno, mais de ce que j?en ai compris, m?me si on exclut un sc?nario apocalyptique, y?a quand m?me de quoi s?inqui?ter.
La grosse question qui taraude les ?gyptiens ces jours-ci, c?est de savoir comment le virus a pu se propager en Egypte. Question pas inutile, vous me direz. Une des pistes les plus commun?ment admises, en d?but de crise, ?tait de rappeler que l?Egypte est une ?tape essentielle des migrations des oiseaux.
Mais quelques d?put?s locaux ? l?esprit particuli?rement vif ont r?cemment interrog? le premier ministre et ses petits coll?gues de la Sant? et de l?Agriculture, pour savoir quel r?le avait jou? l?-dedans le labo NAMRU-3. Yes, un labo de l' U.S. Navy, bas? au Caire. Eh oui, la th?orie du complot. Ca faisait longtemps.
Au tout d?but de la crise aviaire, un sp?cialiste du domaine agricole, pour ne pas le nommer directement, m?avait expliqu?, constern?, ce que lui avaient dit des professionnels de la volaille, pas peu fiers. Aux premiers jours de la crise, en effet, le cours du poulet s??tait brutalement effondr?, laissant les aviculteurs avec des centaines de milliers de bestioles invendables sur les bras? Qu?ont-ils fait ces messieurs (enfin, pas tous, heureusement, mais certains oui) ? Pas b?tes : ils avaient entendu dire que ceux qui devaient faire abattre leurs ?levages pour cause de maladie seraient indemnis?s ? Eh bien, ils ont tout simplement transport?s leurs poulettes malades dans les ?levages sains, mais qui n?avaient plus de valeur marchande. Et hop. Des sous en plus. Tr?s malin? Et tant pis pour les nouvelles contaminations.
A cette ?poque, l?Egypte avait vraiment bascul? dans la parano du poulet qui tousse. Et puisque personne n??coute, je le confesse, j?ai moi aussi c?d? ? la poulet-phobie. J?ai ?t? une ?avian flu freak?. J?ai fait des crises d?angoisse chaque fois qu?un pigeon l?chait sa fiente sur ma voiture. J?ai boycott? les ?ufs coque. Les mousses au chocolat (des blancs d??ufs, m?me pas cuits !). La mayo. Je n?ai pas perdu un gramme, c?est un autre d?bat. Et puis comme tout le monde, j?ai fini par reprendre une alimentation normale, d?autant qu?aujourd?hui, en Egypte, les poulets d??levage seraient tous vaccin?s.
A l?ambassade de France au Caire, ils doivent aussi s'en souvenir du jour o? tous les volatiles du zoo (situ? pile en face de chez eux) ont ?t? envoy? ad patres. A peu pr?s ? la m?me ?poque, une rumeur avait circul? ? coup de SMS paniqu?s, recommandant de ne pas boire l?eau du robinet, des milliers de poulets morts ayant ?t? jet?s dans les canaux. Vrai ? Faux? Mon ami P., vit ? la campagne, entre Giza et Saqqara, l? o? des dizaines de poulaillers industriels dressent leur silhouette oblongue sur fond de dunes. Jour et nuit, des dizaines de milliers de volailles s?y entassent, sous la lumi?re crue des plafonniers (on y recr?e des jours et des nuits artificielles, pour acc?l?rer le rythme de ponte, si j?ai bien saisi). Et bien lui, il dit qu'il en a vu, des poulets jet?s ? m?me le canal.
Depuis, il faut le reconna?tre, les autorit?s ?gyptiennes ont essay? de prendre le taureau par les cornes, ou le poulet par la cr?te, c?est chacun selon. Le minist?re de la Sant? fait preuve d?une transparence aussi inattendue qu?appr?ciable sur cette question. Et multiplie les campagnes de pr?vention, en faisant appel aux ?ra?dats? (que les puristes me pardonnent l?orthographe, toute phon?tique?), les assistantes du planning familial. Elles sont connues depuis longtemps dans les villages, et elles ont la confiance des habitants. Elles passent dans les maisons, posent regarde o? sont gard?es les volailles, sous les lits, en libert?, ou si, au contraire, elles sont confin?es ? part. Elles font de la pr?vention sur la fa?on de cuisiner, et surtout expliquent comment se laver apr?s un contact potentiellement contaminant.
Les services v?t?rinaires, en revanche, font moins dans la subtilit?. En cas d?infection, tous les volatiles sont abattus ? 4 km ? la ronde. Pour les familles pauvres, la perte est consid?rable. Et les indemnisations, quand il y en a, sont jug?es insuffisantes. Et c?est sans compter le probl?me principal : les voisins, rendus fous de rage quand on leur zigouille leurs poulets parce que ceux du type ? l?autre bout de la rue sont malades? Ca ne facilite pas les relations de bon voisinage, c?est clair. Du coup, les gens pr?f?rent souvent se taire, quitte ? ?tre ? leur tour contamin?s. Et ils h?sitent longtemps avant d?amener les malades ? l?hopital, de peur que? Bref, c?est un cercle vicieux. A chaque sursaut de l??pid?mie, des mesures sont prises, on interdit le transport de volailles vivantes, on fait des grosses campagnes de vaccination, des campagnes m?diatiques aussi. Mais tout cela manque de concertation. Et ? chaque hiver, youpi, c?est reparti pour la ronde macabre de la grippe aviaire. Le virus persiste, r?siste. Et chacun craint maintenant qu?il s?y trouve si bien qu?il d?cide d?y muter. Brrr. De quoi donner la chair de poule, quand m?me.
(Photo : ? Reuters)
http://egypte.blogs.liberation.fr/gu...ulet-pour.html
Carnet de bord de Claude Guibal, correspondante de ?Lib?ration? au Caire.
10/04/2009
Dis poulet, pourquoi tu tousses ?
Il s?appelle Ali. Il a six ans. Il est ? l?h?pital du Caire, sous respiration artificielle. Son ?tat est jug? critique. Ali est le 63e cas humain av?r? ayant contract? le virus de la grippe aviaire en Egypte. La semaine derni?re, c??tait deux autres petits bonhommes, ?g?s de deux ans, qui ont grossi la liste des malades. 23 personnes sont officiellement mortes dans le pays depuis le d?but de l??pid?mie, en mars 2006. Il y en a probablement d?autres, mais comment savoir, avouent eux-m?mes certains fonctionnaires du minist?re de la Sant?.
Ali, Hassan, Mohamed? Six ans, deux ans, trois ans... Sur la sinistre liste des cas de H5N1, ? quelques exceptions pr?s, ce sont tous des enfants ou des femmes. Ceux-l? m?mes, qui, dans les zones rurales et dans les quartiers pauvres, sont le plus au contact des volatiles. Car le probl?me, ce sont les ?levages domestiques, dans les cours et sur les toits des maisons, o? on retrouve essentiellement aujourd?hui le virus.
L?Egypte est le pays le plus contamin? au monde en dehors de l'Asie. Et sa proximit? avec l?Europe inqui?te la communaut? internationale, qui craint que ce ne soit sur la terre des pharaons qu?une mutation du virus ait lieu. Je suis pas sp?cialement cal?e en immuno, mais de ce que j?en ai compris, m?me si on exclut un sc?nario apocalyptique, y?a quand m?me de quoi s?inqui?ter.
La grosse question qui taraude les ?gyptiens ces jours-ci, c?est de savoir comment le virus a pu se propager en Egypte. Question pas inutile, vous me direz. Une des pistes les plus commun?ment admises, en d?but de crise, ?tait de rappeler que l?Egypte est une ?tape essentielle des migrations des oiseaux.
Mais quelques d?put?s locaux ? l?esprit particuli?rement vif ont r?cemment interrog? le premier ministre et ses petits coll?gues de la Sant? et de l?Agriculture, pour savoir quel r?le avait jou? l?-dedans le labo NAMRU-3. Yes, un labo de l' U.S. Navy, bas? au Caire. Eh oui, la th?orie du complot. Ca faisait longtemps.
Au tout d?but de la crise aviaire, un sp?cialiste du domaine agricole, pour ne pas le nommer directement, m?avait expliqu?, constern?, ce que lui avaient dit des professionnels de la volaille, pas peu fiers. Aux premiers jours de la crise, en effet, le cours du poulet s??tait brutalement effondr?, laissant les aviculteurs avec des centaines de milliers de bestioles invendables sur les bras? Qu?ont-ils fait ces messieurs (enfin, pas tous, heureusement, mais certains oui) ? Pas b?tes : ils avaient entendu dire que ceux qui devaient faire abattre leurs ?levages pour cause de maladie seraient indemnis?s ? Eh bien, ils ont tout simplement transport?s leurs poulettes malades dans les ?levages sains, mais qui n?avaient plus de valeur marchande. Et hop. Des sous en plus. Tr?s malin? Et tant pis pour les nouvelles contaminations.
A cette ?poque, l?Egypte avait vraiment bascul? dans la parano du poulet qui tousse. Et puisque personne n??coute, je le confesse, j?ai moi aussi c?d? ? la poulet-phobie. J?ai ?t? une ?avian flu freak?. J?ai fait des crises d?angoisse chaque fois qu?un pigeon l?chait sa fiente sur ma voiture. J?ai boycott? les ?ufs coque. Les mousses au chocolat (des blancs d??ufs, m?me pas cuits !). La mayo. Je n?ai pas perdu un gramme, c?est un autre d?bat. Et puis comme tout le monde, j?ai fini par reprendre une alimentation normale, d?autant qu?aujourd?hui, en Egypte, les poulets d??levage seraient tous vaccin?s.
A l?ambassade de France au Caire, ils doivent aussi s'en souvenir du jour o? tous les volatiles du zoo (situ? pile en face de chez eux) ont ?t? envoy? ad patres. A peu pr?s ? la m?me ?poque, une rumeur avait circul? ? coup de SMS paniqu?s, recommandant de ne pas boire l?eau du robinet, des milliers de poulets morts ayant ?t? jet?s dans les canaux. Vrai ? Faux? Mon ami P., vit ? la campagne, entre Giza et Saqqara, l? o? des dizaines de poulaillers industriels dressent leur silhouette oblongue sur fond de dunes. Jour et nuit, des dizaines de milliers de volailles s?y entassent, sous la lumi?re crue des plafonniers (on y recr?e des jours et des nuits artificielles, pour acc?l?rer le rythme de ponte, si j?ai bien saisi). Et bien lui, il dit qu'il en a vu, des poulets jet?s ? m?me le canal.
Depuis, il faut le reconna?tre, les autorit?s ?gyptiennes ont essay? de prendre le taureau par les cornes, ou le poulet par la cr?te, c?est chacun selon. Le minist?re de la Sant? fait preuve d?une transparence aussi inattendue qu?appr?ciable sur cette question. Et multiplie les campagnes de pr?vention, en faisant appel aux ?ra?dats? (que les puristes me pardonnent l?orthographe, toute phon?tique?), les assistantes du planning familial. Elles sont connues depuis longtemps dans les villages, et elles ont la confiance des habitants. Elles passent dans les maisons, posent regarde o? sont gard?es les volailles, sous les lits, en libert?, ou si, au contraire, elles sont confin?es ? part. Elles font de la pr?vention sur la fa?on de cuisiner, et surtout expliquent comment se laver apr?s un contact potentiellement contaminant.
Les services v?t?rinaires, en revanche, font moins dans la subtilit?. En cas d?infection, tous les volatiles sont abattus ? 4 km ? la ronde. Pour les familles pauvres, la perte est consid?rable. Et les indemnisations, quand il y en a, sont jug?es insuffisantes. Et c?est sans compter le probl?me principal : les voisins, rendus fous de rage quand on leur zigouille leurs poulets parce que ceux du type ? l?autre bout de la rue sont malades? Ca ne facilite pas les relations de bon voisinage, c?est clair. Du coup, les gens pr?f?rent souvent se taire, quitte ? ?tre ? leur tour contamin?s. Et ils h?sitent longtemps avant d?amener les malades ? l?hopital, de peur que? Bref, c?est un cercle vicieux. A chaque sursaut de l??pid?mie, des mesures sont prises, on interdit le transport de volailles vivantes, on fait des grosses campagnes de vaccination, des campagnes m?diatiques aussi. Mais tout cela manque de concertation. Et ? chaque hiver, youpi, c?est reparti pour la ronde macabre de la grippe aviaire. Le virus persiste, r?siste. Et chacun craint maintenant qu?il s?y trouve si bien qu?il d?cide d?y muter. Brrr. De quoi donner la chair de poule, quand m?me.
(Photo : ? Reuters)
http://egypte.blogs.liberation.fr/gu...ulet-pour.html
Comment